Train Lyon-Turin : 10 raisons d’arrêter

Le chantier d’une nouvelle liaison ferroviaire entre la France et l’Italie doit démarrer en 2014. Mais son utilité apparaît de plus en plus contestable.

Brice Perrier | Publié le 3 mai 2013, 17h25 | Mise à jour : 10 mai 2013, 10h56

En 2005, lors de travaux préparatoires, une extrayeuse a creusé le conduit qui permettra de descendre sur le chantier en Savoie.

 

Vingt ans après son lancement, le projet de liaison ferroviaire 

 

-Turin soulève plus de questions que de montagnes.

 

Les gouvernements français et italien ont décidé, lors d’un sommet en décembre dernier, de lancer un appel d’offres pour une galerie de reconnaissance — la première partie du tunnel de 57 km qui doit relier laà l’Italie à travers les Alpes (voir carte page suivante).

 

Et le chantier, reconnu comme prioritaire par l’Europe, doit débuter en 2014. Mais lamet à mal les ambitions initiales. Baisse du trafic transfrontalier, surcoût, difficultés de financement… les raisons de renoncer s’accumulent.

 

1. Le trajet Paris-Milan reste trop long

 

Le Lyon-Turin est censé permettre au TGV Paris-Milan de devenir assez rapide pour être attractif.

 

« Environ 500 000 voyageurs passeront de l’avion au rail », nous certifiait Patrice Raulin, qui fut président, jusqu’au 29 mars dernier, de Lyon Turin ferroviaire (LTF), la société chargée des travaux préparatifs du tunnel.

 

D’après l’Union internationale des chemins de fer, le marché de la grande vitesse concerne des trajets de moins de quatre heures.

 

Or LTF a annoncé la durée du futur Paris-Milan, quatre heures et deux minutes, sans prendre en compte les arrêts intermédiaires, de cinq à neuf actuellement. Le voyage devrait donc plutôt durer entre quatre heures et demie et cinq heures. De quoi préférer l’avion.

 

2. Les prévisions de trafic sont revues à la baisse

 

La principale justification du Lyon-Turin est le report du transport de marchandises de la route vers le rail, exigence écologique consacrée par la Convention alpine de 1991.

 

A l’époque, le trafic routier augmentait et des études prévoyaient que ça allait continuer. On annonçait même un flux de poids lourds multiplié par 2,5 entre 1987 et 2010 dans les Alpes savoyardes, ce qui justifiait une nouvelle infrastructure.

 

Mais dès 1994, la tendance a commencé à s’inverser, au point qu’en 2012, le trafic était à peu près équivalent à celui de… 1988 ! Au lieu de relativiser l’intérêt du Lyon-Turin, LTF mise à présent sur un tonnage de marchandises multiplié par trois d’ici à 2035.

 

 

3. La ligne existante est sous-utilisée

Selon ses promoteurs, le Lyon-Turin doit contribuer à mettre les camions sur les trains. Pourtant, une ligne ferroviaire (celle qui passe par le tunnel du Mont-Cenis) existe déjà et des centaines de millions d’euros viennent d’être dépensés pour la remettre aux normes.

Aujourd’hui, cette ligne n’est utilisée qu’à environ un quart de ses capacités, estimées entre 15 et 20 millions de tonnes de marchandises par an, soit presque l’équivalent de la totalité du fret qui transite actuellement par les tunnels routiers du Fréjus et du Mont-Blanc. 

En volume, la plupart des camions circulant dans le secteur pourraient d’ores et déjà être mis sur les trains.

4. Les tunnels suisses suffiraient

En 1994, la Suisse a engagé la réalisation de deux tunnels ferroviaires : le Lötschberg, mis en service en 2007, et le Saint-Gothard, qui le sera en 2016. Ces tunnels vont focaliser le trafic nord-sud qui s’est déjà concentré sur cet axe du fait de l’évolution du transport de marchandises.

Ces dernières sont de moins en moins produites en Europe, et arrivent désormais plutôt d’Asie par les grands ports de Gênes et de Rotterdam, ce qui explique la baisse structurelle du trafic dans la zone du Lyon-Turin.

5. Le financement demeure incertain

Vingt ans après le lancement du projet, il reste une grande inconnue : son financement. Après que l’Europe a payé 50 % des travaux préparatoires du tunnel international, la France et l’Italie misent sur une aide européenne à hauteur de 40 % pour sa réalisation.

Mais, comme l’a rappelé Bruxelles au lendemain du sommet franco-italien du 3 décembre 2012, cette aide n’est toujours pas acquise. De plus, la France devra débourser 12 milliards d’euros pour le projet global.

6. Le coût prévisionnel explose

Dans un référé consacré au Lyon-Turin et publié en novembre 2012, la Cour des comptes évoque des « coûts prévisionnels en forte augmentation », avec des travaux préliminaires qui devaient initialement coûter 320 millions d’euros, alors que les estimations présentées à la conférence intergouvernementale du 2 décembre 2010 atteignaient 901 millions d’euros.

Concernant le budget global incluant les accès au tunnel, la Cour des comptes relève qu’il est passé, depuis 2002, de 12 à 24, voire 26 milliards d’euros.

7. Le pilotage du projet laisse à désirer

Déplorant le manque de visibilité sur l’évolution des coûts, la Cour des comptes estime dans son référé que « le pilotage de cette opération ne répond pas aux exigences de rigueur nécessaires » à la conduite d’un tel projet.

Dans la déclaration commune des ministres des Transports français et italien du 3 décembre dernier, il est d’ailleurs dit que l’on s’apprête seulement à « lancer les discussions sur le montage juridique, économique et financier » d’un tunnel dont on annonce en même temps le début du creusement.

8. Des élus changent d’avis

Si une unanimité favorable au Lyon-Turin a longtemps été de mise chez les politiques, ce n’est plus le cas. Les écologistes français, suisses et italiens sont désormais opposés à la réalisation du tunnel international. 

Une position confirmée par le groupe écologiste de la région Rhône-Alpes, composante importante de la majorité de cette collectivité particulièrement impliquée dans le projet.

Dominique Dord, député-maire d’Aix-les-Bains et ex-trésorier de l’UMP, annonce, pour sa part, qu’il ne faut plus compter sur lui « pour défendre l’indéfendable ».

9. Les riverains résistent

 

Depuis des années, l’opposition au Lyon-Turin est massive dans le val de Suse, là où doit déboucher le tunnel en Italie. La vallée s’est transformée en centre de résistance au point de nécessiter la présence de l’armée italienne pour protéger le chantier de reconnaissance.

Et, malgré le ralliement au projet des maires de Suse et de Chaumont, le Lyon-Turin est encore largement refusé par la population locale. La manifestation qui s’est déroulée le 23 mars dernier en atteste.

 

10. Les couacs s’accumulent

 

Le projet a récemment été entaché de différents couacs. L’enquête publique favorable aux travaux côté français a ainsi été mise en cause en 2012 pour conflits d’intérêts.

 

Peu après que l’ex-directeur général italien de la société LTF, Paolo Comastri, a été condamné, en 2011, pour trucage d’appel d’offres sur des faits qui remontent à l’année 2004, alors qu’il était en poste à LTF.

 

Enfin, dans un autre registre, Philippe Essig, ancien président de la SNCF, a déclaré, au mois de janvier dernier, que ce tunnel « n’est pas nécessaire aujourd’hui, et pour longtemps », avant d’ajouter qu’il espérait voir « le bon sens l’emporter et nos ressources consacrées aux vrais problèmes des Français ».

 

«On ne va pas reboucher ce qui a été creusé»
 

 


Louis Besson, coprésident de la Commission intergouvernementale franco-italienne du projet Lyon-Turin.

Sachant que le trafic de marchandises dans les Alpes françaises n’a pas augmenté comme prévu, le projet Lyon-Turin est-il toujours pertinent ?

A chaque crise, l’indicateur le plus immédiat du ralentissement économique est la réduction du volume des transports de marchandises. Donc là, on n’y échappe pas. 

Mais l’objectif de l’Europe est d’avoir un grand axe ouest-est dont le Lyon-Turin serait une pièce maîtresse. Car si le nord de l’Europe a des voies de communication extrêmement performantes, on a le blocage alpin dans le Sud. 

Cet obstacle physique ne doit pas se payer économiquement. Et tant qu’on n’aura pas cette infrastructure, on parlera en l’air.

Pourquoi alors la décision ferme de faire ce tunnel n’est-elle toujours pas prise ?

Lors du dernier sommet franco-italien de Lyon, les deux Etats ont réaffirmé l’urgence absolue de terminer ce projet. 

Et ils ont engagé la réalisation d’un tube définitif du tunnel (présenté officiellement comme une nouvelle galerie de reconnaissance, NDLR) sur une zone où les travaux préparatoires ont révélé de grandes contraintes géologiques. 

L’Europe finance la réalisation à 50 %, car elle considère que c’est essentiel.

Lance-t-on la construction du tunnel alors que son financement n’est toujours pas assuré ?

On avance et il est évident que l’on ne va pas reboucher ce qui a été creusé. Paris et Rome jouent un peu avec l’Europe en disant : « Nous sommes prêts à y aller, mais subordonnons les engagements qui sont à prendre à vos décisions de financement. » 

On donne des signes de notre volonté d’avancer, mais pour tout engager, on a besoin de l’Europe. Il y a urgence.

http://www.leparisien.fr/magazine/grand-angle/train-lyon-turin-10-raisons-d-arreter-03-05-2013-2776683.php

 

Train Lyon-Turin : 10 raisons d’arrêterultima modifica: 2013-05-11T23:17:00+02:00da davi-luciano
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