A Bayonne, du 15 au 17 juillet, les militants européens contre les “grands projets inutiles et imposés” se sont réunis. | Photo : R. Bx.
« Démocratie », « légitimité », ce sont sans doute les mots qui ont été les plus prononcés, les plus revendiqués, durant lesrencontrescontre les « grands projets inutiles et imposés », les « GPII », qui se sont déroulées à Bayonne (Pyrénées-Atlantiques) du 15 au 17 juillet.
Certes, la dramatique attaque terroriste qui s’est déroulée, la veille de l’ouverture du forum, le jeudi 14 juillet àNice, a suscité émotion et sympathie pour les victimes, en ouverture dela réunion qui a réuni 150 à 200 militants européens.
Mais pas question pour autant defaireune pause dans la lutte acharnée menée contre des projets aussi variés qu’un aéroport à Notre-Dame-des-Landes(Loire-Atlantique), un tunnel transalpin destiné à la ligne ferroviaireLyon–Turin, des lignes à très haute tension de l’autre côté des Pyrénées, une gare à Stuttgart ou encore des lignes à grande vitesse au nord de Londres, en Provence et au Pays basque…
« Le but du terrorisme, c’est de nousempêcher devivre, mais on ne va pas s’autocensurer et accepter pour cela la confiscation de la démocratie avec l’état d’urgence. Si la réponse au terrorisme, c’est de nousdirede ne pasmanifester, alors ils auront gagné », insiste Martine Bouchet du Collectif des associations de défense de l’environnement(Cade) du Pays basque et du sud des Landes, coorganisateur de la rencontre.
Pour elle, comme pour l’ensemble des participants au forum, le plus grave reste « le mensonge des porteurs de projets et les décisions antidémocratiques qui les accompagnent ». Durant trois jours d’atelierset de séances plénières dans les salles de la Société nautique de Bayonne, sur les rives de l’Adour, les exemples n’ont pas manqué, selon eux, de ces projets imposés, coûteux, inutiles, contestés souvent physiquement, comme à Notre-Dame-des-Landes, dans le Val de Suse dans le Piémont italien ou à Sivens dans le Tarn.
L’annulation de la déclaration d’utilité publique de ceprojetde barrage par le tribunal administratif de Toulouse, le 1er juillet, a notamment résonné comme la preuve de l’illégitimité de l’ensemble de ces dossiers, souvent validés par lajusticeet par les autorités.
Un autre encouragement est venu de la présence de Mireille Fanon-Mendès France, juge au Tribunal permanent des peuples qui siège à Rome. Elle a expliqué la condamnation de la Franceet de l’Italie, dans le dossier du Lyon-Turin, par ce tribunal fondé en 1979 qui s’appuie sur les différents textes du droit international. « Quand des personnes ont été victimes de crimes de guerre, qu’ils n’arrivent pas à se faire entendre, qu’ils n’ont pas d’endroit pour dire le droit, nous pouvons nous saisirdes dossiers », explique la fille aînée de Frantz Fanon et épouse du fils de Pierre Mendès France.
Alors bien sûr, le tunnel transalpin n’est pas le génocide desArméniens ou la répression au Tibetmais, assure-t-elle, « nous avons instruit ce dossier et il y a bien violation des droits fondamentaux, non-consultation des populations concernées, manque de transparence, création d’une zone militaire du côté italien, ce qui est interdit par la loi, violence d’Etat, confiscation de terres, mensonges… ». Selon elle, les crimes principaux d’aujourd’hui sont des crimes économiques qui, comme les crimes coloniaux d’hier, « violent les droits des populations autochtones ». « Il faut continuerà dire le droit, àrappeler les normes, le cadre, sinon, c’est la jungle », assène Mireille Fanon-Mendès France.
Autant d’arguments répétés par Daniel Ibanez, porte-parole côté français, ou Paolo Prieri des No-Tav, les opposants italiens au projet de tunnel. « Tout ceci est une somme de mensonges, tant sur le temps que ferait gagnerle nouveau tunnel, sur l’augmentation annoncée du fret routier sur cet axe, que sur le coût total du projet ou même sa viabilité, vu que ni l’Italie ni la France n’ont réellement l’argent pourconstruire les accès à la partie transfrontalière », résume Paolo Prieri.
Et Daniel Ibanez d’ironiser sur la présence deFrançois Hollande à l’inauguration du tunnelsuisse du Gothard, le 1er juin : « Bizarrement, ce tunnel de la même distance que celui prévu sur le Lyon-Turin, avec les mêmes conditions géologiques et les mêmes contraintes, a coûté 11,3 milliards d’euros alors qu’on continue à nous faire croireque le franco-italien ne coûterait que 8,6 milliards ! » Le 26 octobre, les opposants au projet de tunnel seront àStrasbourg pour apporteraux parlementaires européens le jugement du Tribunal permanent des peuples.
Dans les rues de Bayonne, jusque tard dans la soirée, les militants contre le tunnel Lyon-Turin, les lignes à très haute tension espagnoles ou la gare de Stuttgart, ont échangé leurs arguments. | Photo : R. Bx.
MÉGAPROJETS ÉNERGÉTIQUES
Les nombreux Espagnols venus à Bayonne ont aussi martelé ces accusations de mensonges sur les données justifiant les projets, en particulier ceux qu’ils appellent les « mégaprojets énergétiques », soit trois ou quatre lignes à très haute tension et un gazoduc géant qui traverseraient les Pyrénées. Plus d’une cinquantaine d’associations de Catalogne, d’Aragon, de Navarre, se sont réunies dans un réseau qui insiste sur l’inutilité de ces projets.
« On est en surcapacité totale, plus de 190 %, mais les électriciens espagnols préfèrent acheterl’électricité en France, où le kWh ne coûte que 14 centimes contre 25 enEspagne, pour nous le revendreplus cher », explique Carlos Gonzalez du réseau unitaire espagnol. Même la Commission de régulation de l’énergie française a estimé, en juin 2015, que « les projets de liaison à travers les Pyrénées envisagés n’ont pas atteint un stade de maturité suffisant pour faire l’objet d’évaluations socio-économiques pertinentes ». Autrement dit pour les opposants, ces projets sont inutiles et ils enragent de voirles autorités espagnoles s’obstiner à faire ces chantiers.
Durant trois jours, sous unéclatant soleil estival, les militants anti-GPII se sont chauffés, se donnant rendez-vous qui à Notre-Dame-des-Landes, pour la manifestation nationale annoncée le 8 octobre, qui à Bure contre le projet d’enfouissement des déchets nucléaires.
En conclusion, Maxime Combes, d’Attac, a fait le lien entre ces résistances et la lutte contre le réchauffement climatique. « La question climatique est rarement mobilisée pour disqualifier ces grands projets, pourtant contradictoires avec les engagements pris par les pays européens lors de la COP21, explique Maxime Combes. En revanche, les porteurs de ces projets saventutiliserleclimatpour justifierune ligne à grande vitesse, le fret ferroviaire ou une nouvelle aérogare à haute qualité environnementale. » Il faut doncavoirune vision plus large, prendre en compte l’intérêt environnemental, mais aussi social, économique pour « imposer un moratoire sur ces projets d’infrastructure ».
Aéroport, lignes à grande vitesse… les militants contre les projets « inutiles » se coordonnentultima modifica: 2016-07-19T18:10:15+02:00da davi-luciano