GRAND JEU AU PROCHE-ORIENT: LES QUESTIONS GEOPOLITIQUES SUR LA ‘GUERRE FROIDE’ ENTRE L’ARABIE SAOUDITE ET L’IRAN

LUC MICHEL (ЛЮК МИШЕЛЬ) & EODE/

Luc MICHEL pour EODE/

Quotidien géopolitique – Geopolitical Daily/

2017 12 16/

LM.GEOPOL - Questions iran saouds (2017 12 16) FR 4

La guerre médiatique incessante, doublée d’une guerre diplomatique et d’influence sans merci, entre l’Arabie saoudite et l’Iran reflète une rivalité croissante entre ces deux pays du Golfe. C’est la version proche-orientale du nouveau « Grand jeu ». Doublée d’une version proche-orientale de la « nouvelle Guerre froide 2.0 » entre deux blocs géopolitiques antagonistes : USA-Israël-Saouds vs Iran-Russie-Syrie-Chine. Mais estiment certains experts, « les risques d’un affrontement militaire direct entre Ryad et Téhéran restent à ce jour limités » …

QUESTION 1 :

POURQUOI CE REGAIN DE TENSION ?

L’Arabie saoudite, championne du wahhabisme, doctrine rigoriste de l’islam sunnite – qui est partagée par les monarchies du Golfe, les militaires fondamentalistes pakistanais et les djihadistes de Daech ou d’ al-Qaida -, et la République islamique d’Iran, chiite, ont rompu leurs relations diplomatiques en 2016 et, dans leur lutte d’influence, soutiennent des camps rivaux au Liban, en Irak, en Syrie et au Yémen (la seconde guerre du Proche-Orient).

Depuis le 4 novembre, la tension entre les deux pays a été ravivée par la valse-hésitation sur la démission du Premier ministre libanais Saad Hariri, soutenu par les Saouds, qui, de Ryad, a accusé l’Iran « d’ingérence au pays du Cèdre par le biais du Hezbollah », mouvement chiite soutenu par Téhéran et allié à la Syrie devenu le premier parti libanais.

Elle est encore montée d’un cran quand le prince héritier saoudien, Mohammed ben Salmane, a accusé l’Iran » d’avoir agressé son pays », en rendant Téhéran responsable d’un tir de missile des rebelles houthis au Yémen intercepté près de Ryad. Les USA de Trump s’étant emparé du dossier et tentant d’isoler l’Iran. Téhéran, niant toute implication, a appelé Ryad à ne pas jouer avec le feu et à se méfier de la “puissance” iranienne.

QUESTION 2 :

D’OU VIENT LA RIVALITE IRANO-SAOUDIENNE ?

GEOPOLITIQUE OU IDEOLOGIE RELIGIEUSE ?

Le fondement n’est pas religieux, comme l’expliquent les occidentaux, rivé sur le concept opérationnel des USA, le « choc des civilisations » (de Samuel Hunttington). Une vision anti-historique et simpliste de l’Histoire, qui ne relève pas de la géopolitique. Mais qui favorise le « diviser pour régner » de Washington. Le fondement est géopolitique et recouvre une rivalité millénaire : les perses vs les arabes. L’Iran puisant ces racines géopolitiques dans son histoire impériale millénaire. Téhéran ancre aussi ses ambitions dans une vision géopolitique traditionnelle, historique, celle du conflit entre Persans et Arabes pour le contrôle de l’Islam après les Omeyyades.

Au-delà de l’antagonisme atavique entre Perses et Arabes, la concurrence entre Ryad et Téhéran a été exacerbée par la révolution iranienne de 1979 et l’avènement de la République islamique, porteuse d’un message révolutionnaire d’émancipation populaire et farouchement antiaméricain, perçu comme une menace par l’Arabie, monarchie conservatrice alliée des Etats-Unis.

Avec l’affaiblissement de l’Irak après la guerre entre l’Irak et l’Iran (1980-1988) et la 1ère guerre du Golfe (1991), l’Arabie saoudite et l’Iran deviennent “les deux principales puissances régionales” ; Pour Clément Therme, chercheur à l’International Institute for Strategic Studies (IISS), leur rivalité est d’abord “géostratégique”.

« Ryad voit comme une menace pour sa propre sécurité l’influence régionale grandissante de l’Iran avec les guerres en Irak et en Syrie, et la poursuite du programme balistique iranien ». Pour l’Iran, qui s’estime encerclé par des bases américaines et menacé par les arsenaux constitués par ses voisins auprès des Etats-Unis, les missiles qu’il développe sont « purement défensifs ».

QUESTION 3 :

QUELS FACTEURS CONJONCTURELS FAVORISENT LES TENSIONS ?

“La première cause des tensions actuelles est liée à l’affrontement par intermédiaires entre l’Iran et l’Arabie Saoudite”, estime C. Therme, en citant les théâtres de guerres en Irak, en Syrie et au Yémen. Pour Max Abrahms, professeur à l’université américaine Northeastern de Boston et spécialiste des questions de sécurité internationale, la rivalité “saoudo-iranienne est devenue encore plus marquée” avec l’affaiblissement récent du groupe jihadiste Etat islamique (EI) en Irak et en Syrie.

Cette concurrence “est devenue le principe organisateur des alliances au Moyen-Orient, rappelant en cela la Guerre froide, qui partageait les pays en deux camps”, dit-il à l’AFP.

QUESTION 4 :

QUEL ROLE JOUE LE CLIVAGE ENTRE CHIITES ET SUNNITES ?

Ces tensions religieuses “ont émergé comme un paramètre majeur de la rivalité irano-saoudienne” après l’invasion américaine de l’Irak en 2003, qui a fait émerger un pouvoir chiite à Bagdad, “mais surtout après les printemps arabes de 2011″, observe C. Therme.”Les Etats arabes sont apparus comme vulnérables et l’Iran a été alors défini comme la principale menace pour la stabilité régionale”, ajoute-t-il en référence au soutien affiché de Téhéran aux revendications des importantes minorités chiites dans les monarchies du Golfe.

Mais le clivage a été aggravé par les manipulations américaines sur le concept de « Croissant chiite » (1). Ce croissant ayant étant conçu par ses partisans américains, comme Zalmed Khalilzad (2), comme un outil puissant pour fragmenter le Monde arabe. C’est alors un concept opératif « croissant chiite versus arc sunnite ».

QUESTION 5 :

COMMENT LA CRISE RISQUE-T-ELLE D’EVOLUER?

“L’Arabie saoudite va essayer de se servir du dernier tir de missile (houthi) pour mobiliser des soutiens en faveur de sanctions supplémentaires contre le programme balistique iranien”, estime Graham Griffiths, analyste pour le cabinet de conseil Control Risk. Mais “l’éclatement d’un conflit régional plus large reste improbable”, affirme-t-il à l’AFP.

“Le risque d’escalade semble atténué par la peur d’une guerre”, estime aussi C. Therme, rappelant que “l’Iran a l’expérience” douloureuse “de la guerre avec l’Irak”. Quant à l’Arabie saoiudite, elle “est enlisée au Yémen”, où elle est engagée depuis mars 2015 à la tête d’une coalition militaire pour stopper l’avancée des rebelles houthis.

Pour la société de conseil en risque politique Eurasia Group, “la rhétorique saoudienne ne reflète pas nécessairement un intérêt pour la guerre”. Mais l’argument “nationaliste” contre l’Iran pourrait être instrumentalisé par le prince héritier –qui bouscule actuellement les codes dans le royaume ultra-conservateur– pour “consolider sa position”.

QUESTION 6 :

L’ARRIVEE AUX AFFAIRES DE TRUMP, AVEC SON TROPISME ANTI-IRANIEN, EST ELLE UN FACTEUR D’AGRAVATION ?

Pour C. Therme, “l’arrivée de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis a libéré les énergies anti-iraniennes dans la péninsule arabique” car Washington “a pris fait et cause (…) pour son allié saoudien” et contre l’Iran. Une attitude américaine tranchant avec celle de l’administration de Barack Obama (2009-2017), marquée par la signature d’un accord historique sur le nucléaire iranien.

QUESTION 7 :

L’IRAN, DENOMINATEUR COMMUN ENTRE L’AXE WASHINGTON-RIYAD-TEL-AVIV ?

La chaîne d’information américaine Bloomberg, s’intéresse au triangle dangereux anti-iranien, Washington-Riyad-Israël. Selon la télévision américaine, il paraît que l’Iran, « dont l’influence ne cesse de grandir dans la région, est le dénominateur commun de ce trio ». Bloomberg évoque dans son rapport « la volonté de ce triangle anti-iranien de faire face à la montée en puissance régionale de l’Iran face à qui, Benjamin Netanyahou, Trump et Ben Salmane se serrent les coudes ». Une vision géopolitique évidemment « vue de Washington » …

Selon le rapport, « tous les trois se sont dits vivement paniqués et préoccupés par les victoires réalisées par le président syrien et son allié iranien dans la région face aux groupes terroristes ». Des résultats acquis dans des conditions où le départ du président syrien était la priorité des politiques étrangères américaines et saoudiennes, « mais Bachar al-Assad a su vaincre les terroristes et les groupes armés, actifs dans son pays et soutenus par Riyad et Washington ».

« Échouée dans leur projet syrien », la dangereuse alliance essaie maintenant de tenter sa chance au Liban et prend pour cible le mouvement de la résistance libanais, le Hezbollah, un autre allié de l’Iran, considérablement renforcé, elle aussi, dans la région et qui a réussi à éliminer les terroristes sur les frontières. Le triangle anti-iranien a placé sans surprise le Hezbollah sur sa liste des groupes terroristes. L’Arabie saoudite a donc convoqué, son inféodé Premier ministre libanais, Saad Hariri, pour lui transmettre un message clair concernant la détermination de Riyad à continuer de mettre la pression sur le Hezbollah.

Le Premier ministre libanais, qui a également une nationalité saoudienne et d’importants intérêts au Royaume, serait « victime d’une guerre froide » de l’axe dangereux anti-iranien qui « tente non seulement de réduire la puissance de Téhéran et de ses alliés dans la région; aussi bien intérieurement qu’extérieurement, mais aussi de les affronter avec force ».

QUESTION 8 :

QUEL ROLE ISRAEL VA-T-IL JOUER DANS CET AFFRONTEMENT ?

« Israël est prêt à partager des informations en matière de renseignement avec l’Arabie saoudite car les deux pays ont en commun de vouloir s’opposer à l’Iran sur la scène régionale », a déclaré le chef d’état-major de l’armée israélienne. L’interview avec le chef de l’armée israélienne, dit Etaph, a été effectuée dans son bureau à Tel Aviv par un journaliste arabe israélien. Dans un entretien accordé à la publication en ligne saoudienne Etaph, le 16 novembre dernier, sa première interview semble-t-il avec un organe de presse arabe, le général Gadi Eizenkot déclare « qu’Israël n’a pas l’intention d’attaquer la milice chiite du Hezbollah au Liban ». Mais, dit-il à propos de l’Arabie saoudite, « nous sommes prêts à partager des informations, si cela est nécessaire. Nous avons beaucoup d’intérêts en commun ».

« L’élection de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis et la pression renouvelée que Washington exerce sur l’Iran ont rebattu les cartes dans la région » (comme je l’annonçais dès les premiers jours de la Présidence Trump), ajoute-t-il, et « permettent à de nouvelles alliances, jadis improbables, d’apparaître ». « Il faut mettre en place un plan majeur et général pour stopper le danger que représente l’Iran », souligne le général israélien. « Nous sommes disposés, face à l’Iran, à partager notre expertise avec des Etats arabes modérés et à échanger de l’information en matière de renseignement ».

Le ministre saoudien des Affaires étrangères, Adel Joubeïr, a assuré jeudi que « l’Arabie saoudite se trouvait contrainte depuis des semaines de répondre à  l’agression de l’Iran et estimé que cette situation devait cesser ».

LES EMISSIONS QUI COMPLETENT L’ANALYSE :

* Voir sur PCN-TV/

IRAN VS SAOUD (1):

YEMEN. L’AUTRE GUERRE DU PROCHE-ORIENT

(LUC MICHEL, AFRIQUE MEDIA)

sur https://vimeo.com/151359346

* Voir sur PCN-TV/

IRAN VS SAOUD (2) :

LE CHOC TEHERAN-RIYAD

(LUC MICHEL SUR AFRIQUE MEDIA)

sur https://vimeo.com/151359475

NOTES :

(1) Notion extrêmement polémique, niée par certains analystes, mal comprise par d’autres. Il y a souvent en effet une incompréhension de ce concept géopolitique vu du point de vue américain. Certains croyant y voir la définition d’un adversaire, notamment au travers des déclarations de dirigeants sunnites. C’est exactement l’inverse, ce croissant étant à l’origine conçu par ses partisans américains, comme Zalmed Khalilzad, comme un outil puissant pour fragmenter le Monde arabe. C’est alors un concept opératif « croissant chiite versus arc sunnite ».

La géographie du chiisme permet, sans aucun doute, de dessiner une sorte de « croissant chiite », allant de l’Iran au Liban, en passant par l’Irak et les alaouite de Syrie. « Mais il importe en réalité d’étudier l’ensemble de la géographie du chiisme au Moyen-Orient et dans la partie centre-occidentale de l’Asie centrale du Sud. L’analyse géopolitique des populations actuelles comme la recherche prospective permettent d’en tirer d’importants enseignements géopolitiques, en prenant la juste mesure du poids de l’Iran et de la répartition religieuse dans la région ». Comme précisé ci-dessus, le « croissant chiite » concerne donc, stricto sensu, l’Iran, l’Irak, et le Liban via la Syrie. Mais, en réalité, et les déclarations inquiètes à ce sujet de dirigeants arabes sunnites comme le Roi Abdallah de Jordanie en 2004 ou Moubarak en 2006, l’ont alors montré, la question portait sur les populations chiites « de tous les pays ». Il importe donc « de prendre la mesure réelle du Chiisme, tout particulièrement dans l’ensemble régional formé des pays limitrophes ou proches de l’Iran, et qui inclut le Moyen-Orient et la partie orientale de l’Asie centrale du Sud ».

(2) Ce concept-projet est celui d’un des hommes-clé des USA dans la région, l’ambassadeur afghan Khalilzad – un chiite d’origine afghane et ce n’est pas un hasard – qui fut notamment le proconsul américain au Proche-Orient après l’invasion de l’Irak, en tant que super-ambassadeur de Bush pour la région. Proche de Brezinski, il illustre combien la politique étrangère américaine est définie par des non-Américains de naissance (Kissinger, Brezinski, Albright, Khalilzad…). Conseiller de Donald Rumsfeld, Khalilzad voyait  notamment à l’origine dans les Talibans – création de l’ISI pakistanaise et de la CIA – « une force de stabilité pour le pays et d’équilibre avec l’Iran ».

(Sources : AFP – Press TV – Bloomberg TV – EODE Think-Tank)

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